Les douceurs du « jardin de la France »
La révolution de l’irrigation, arrivée avec l’ouverture du canal de Carpentras en 1857, a fait du Comtat Venaissin le « jardin de la France ». Alors que la culture fruitière monte en puissance à la fin du XIXème siècle, l’abondance des fruits donne des idées aux cuisinières et aux confiseurs. Dans les cuisines familiales, une odeur de sucre et de fruits plane sur les chaudrons où se concoctent des variétés infinies de confitures. Les confiseurs, quant à eux, développent la fabrication très délicate du fruit confit. Un savoir-faire qui requiert du temps et de la patience : chaque fruit, cueilli juste avant maturité et choisi avec soin, est blanchi avant d’être plongé dans un sirop de sucre en ébullition. Sept bouillons successifs sont nécessaires pour éliminer peu à peu l’eau du fruit, jusqu’à une concentration de 80% de sucre. Le fruit confit est ensuite égoutté et glacé, ce qui donne à la couleur du fruit des reflets de nacre blanche.
Ce délice raffiné, dont raffolait Mme de Sévigné, fait partie des treize desserts de Noël. Une jolie tradition provençale l’accrochait jadis, avant Pâques, aux branchages symboliques que l’on offrait aux enfants pour célébrer la fête des Rameaux. Aujourd’hui, les ateliers de Ruchofruit à Flassan reprennent et magnifient le savoir-faire des confiturières du Ventoux, tandis que deux confiseries carpentrassiennes, Jouvaud et Bono, se consacrent à la lente élaboration du fruit confit artisanal, cerises, tranches de melon, figues et autres mandarines appelées « chinois ». Des fruits précieux aux saveurs délicates, qui se dégustent comme des friandises et décorent le gâteau des rois, brioche en forme de couronne que l’on saupoudre de gros grains de sucre.
L’épopée du berlingot
Petit tétraèdre aux couleurs translucides striées de blanc devenu l’une des gourmandises françaises les plus connues au monde, le berlingot est au départ un sous-produit du fruit confit. C’est Pascal Long, un confiseur carpentrassien, qui en 1844 eut l’idée de récupérer le sirop issu de la fabrication des fruits confits pour le recuire. Il travailla la pâte sucrée à haute température sur un marbre huilé, y ajouta des arômes et couleurs naturelles, l’orna de fins rubans de sucre blanchi, l’étira et la plia pour obtenir un bel effet de couleurs et de liserés blancs. Coupé au ciseau, le ruban parfumé fut débité en petits morceaux devenus très durs en refroidissant. Plus tard, le même confiseur mécanisa la découpe avec la berlingotière. Sur l’origine du nom « berlingot », la controverse est vivace. Certains le rattachent à Bertrand de Goth, qui fut pape en Avignon. D’autres au berlingozzo, une friandise de foire venue d’Italie, ou bien au jeu des osselets, les « berlingau » en provençal.
Le renouveau d’une tradition gourmande
A partir de 1851, Gustave Eysseric eut l’idée de le conditionner non plus en cornet, mais dans de ravissantes boîtes en métal qui permettaient de le transporter sans craindre l’humidité. Le berlingot pouvait désormais voyager, il allait conquérir le marché mondial et prendre des couleurs. Les premiers étaient rouges et parfumés à la menthe Mitcham, une menthe poivrée cultivée alors en Comtat. Peu à peu, ils prirent tous les parfums, citron, orange, framboise, fraise, cassis… composant des mélanges pimpants aux teintes acidulées. Pendant tout un siècle, Carpentras devint la capitale du berlingot. Les deux principales « maisons », Eysseric et Raquillet-Chabas, firent figure de locomotives. Elles fabriquaient alors 1 à 1,5 tonne par jour du fameux bonbon. Mais une myriade de petits artisans participaient aussi à l’épopée du berlingot. L’arrivée du chewing-gum, des gommes et autres bonbons gélifiés fit péricliter cette industrie florissante. Dans les années 90, une seule confiserie artisanale continua à le fabriquer. Avec le retour aux saveurs d’antan, le berlingot trouve depuis peu une nouvelle jeunesse. Deux ateliers artisanaux, la Confiserie du Mont Ventoux et la Confiserie Clavel, perpétuent aujourd’hui ce savoir-faire ancestral.