Du champignon sauvage à la trufficulture
La truffe était prisée déjà dans l’Antiquité. Le Moyen Age vit en elle, à cause de sa couleur noire, un signe de Satan, mais les Papes d’Avignon, fins gourmets, s’empressèrent de la réhabiliter. Champignon sauvage, elle existait à l’état naturel dans les bois. Les gens de la campagne l’ont ramassée pendant des siècles, en ignorant tout de la secrète association entre la truffe et l’arbre. C’est un paysan vauclusien, Joseph Talon, qui découvrit en 1810 comment, grâce au mycorhize, la truffe va chercher un arbre nourricier. Quelques pionniers plantèrent alors des chênes « mycorhizés », c’est-à-dire mis en contact avec des spores de truffes. La production prit son essor, le Ventoux devint le temple du diamant noir. Pendant quelques décennies, ce fut un âge d’or. Un temps où l’on pouvait cuisiner des ragoûts de truffe avec pas moins de 200 grammes de pépite noire par personne. Puis l’exode rural, les sécheresses et les difficultés de la culture l’ont rendue plus rare.
La « rabasse », ses mystères et ses rites
La plus noble des truffes est la Tuber melanosporum ou Rabasse, au parfum puissant, à la chair noire finement marbrée de blanc. C’est la principale variété, désignée sous l’appellation botanique de « Truffe du Périgord » même si l’essentiel aujourd’hui est ramassé en Vaucluse, entre Ventoux, Comtat et Luberon. La truffe blanche ou truffe d’été, au parfum plus léger, ressemble à la truffe noire, mais sa chair est beige marbrée de blanc.
La truffe n’est pas un produit comme les autres. C’est un mystère qui a ses rites et son vocabulaire. Il faut la chercher en se fiant au flair du chien truffier, plus rarement au cochon ou à la mouche. Pendant tout l’hiver, on va « caver » la « Rabasse » à l’aide d’un pic pour l’extraire délicatement de sa gangue de terre. Elle se dévoile alors, petit joyau de quelque 50 à 60 grammes ou grosse pépite de plusieurs centaines de grammes. La Rabasse est le fruit d’une alchimie subtile entre un sol calcaire bien aéré, avec un PH précis et d’un ensoleillement ponctué de petites pluies. Elle reste largement imprévisible.
Carpentras fait les prix du diamant noir
L’autre rituel truffier se déroule au marché. Celui de Carpentras, tous les vendredis en saison, détermine les prix. Ils peuvent atteindre 120 euros les 100 grammes aux alentours de Noël et retomber à 60 euros en fin de saison. Pas de grands cris, mais des échanges feutrés entre professionnels autour des sacs odorants. Les transactions se font de gré à gré et en liquide. Les acheteurs sont des courtiers, des conserveurs, mais aussi des chefs cuisiniers.
Le Vaucluse commercialise 10 à 30 tonnes de truffes selon les années, soit 70% de la production française. Ces quantités sont sans commune mesure avec les récoltes fabuleuses d’autrefois : 380 tonnes vendues en 1868 ! Le précieux champignon noir a bénéficié d’un plan de relance, qui a permis de créer 500 hectares de plantations nouvelles. Par ailleurs, l’ONF met en adjudication chaque année environ 25 000 ha pour permettre aux professionnels de « caver » la truffe sauvage.