La renaissance d’une céréale ancienne
Le petit épeautre ou engrain (Triticum monococcum) est la plus ancienne des céréales qui soit parvenue jusqu’à nous. En Méditerranée, on retrouve les premières traces de sa culture 9000 ans avant Jésus Christ. Largement répandue ensuite, elle était le blé des Gaulois, et le plat de résistance des campagnes, généralement cuisinée en soupe consistante. Si elle est toujours cultivée aujourd’hui, c’est grâce à un petit miracle. En effet, elle faisait partie des aliments consommés pendant la guerre, comme les topinambours ou les rutabagas. A partir des années 50, comme pour tourner la page sur les mauvais souvenirs, on s’était empressé de l’oublier. Il fallait aussi lui donner le temps de mitonner. Or l’après-guerre aspire à la croissance et veut en finir avec la lenteur. Le petit épeautre est donc remisé au rang des souvenirs, jusqu’au jour où, dans une ferme au-dessus de Monieux, on retrouve des graines oubliées dans un bidon. Ces graines permettent de faire revivre la culture. A la fin du XXème siècle, c’est la renaissance du petit épeautre sur le plateau de Sault.
Un blé vêtu qu’il faut déshabiller
Si les essais de culture en plaine s’avèrent peu convaincants, la céréale ancienne s’adapte bien sur le plateau, où elle peut prendre son temps pour murir sans griller sous la chaleur du plein été. Elle est à l’aise sur un sol sec, caillouteux et s’accommode d’une altitude moyenne, entre 400 et 900 mètres. Elle ne craint pas le froid. Les lavandiculteurs l’adoptent, c’est un moyen de diversifier les cultures et de répartir les risques face aux atteintes des parasites qui touchent la petite fleur bleue.
Le petit épeautre est, depuis lors, intimement lié au terroir de la Haute-Provence. Il est très différent du grand épeautre cultivé dans l’est et le nord de la France et destiné essentiellement à l’alimentation animale. Céréale robuste, le petit épeautre est un blé vêtu, doté d’une triple enveloppe solide. A l’heure de la moisson, la grande faucille rustique a cédé la place aux moissonneuses avec tracteurs. Il faut ensuite mettre le grain à nu. Le mondage déshabille la graine et enlève 30% au poids initial. Le passage à la meule peut l’affiner encore et en faciliter la cuisson.
Une image de marque, de nouveaux débouchés
Avec 10 à 15 quintaux de produit fini par hectare, le blé des Gaulois est moins productif que les céréales modernes. Une trentaine d’agriculteurs le cultivent sur 150 à 200 hectares entre Vaucluse, Alpes de Haute-Provence, Drôme et Hautes-Alpes. Le petit épeautre bio de Haute-Provence bénéficie d’une IGP (Identification géographique protégée). Cette céréale tombée dans l’oubli et redécouverte a mis du temps à se créer des débouchés. Elle s’est forgée une image de marque en valorisant sa valeur nutritionnelle, son authenticité, sa faible teneur en gluten et son petit goût de noisette. Elle est commercialisée sous forme de graines, mais aussi de farine, et réinterprétée par les boulangers et les cuisiniers qui en font un élément incontournable de la gastronomie provençale. C’est une céréale à haut rendement énergétique et calorique, avec une très bonne digestibilité. Il est utilisé en salade, soupe et risotto et il accompagne légumes et viandes. Sa farine peut servir également à la fabrication de pain, gâteaux ou pâtes et leur donne une couleur dorée caractéristique.